PARCOURS
Ce que je présente ici s’étale sur de nombreuses années, et montre un cheminement personnel en lien étroit avec mes expériences de vie, des contextes divers qui ont forgé mes convictions personnelles. La peinture est pour moi une recherche constante et je fais des allers retours entre l’abstrait, le figuratif, l’installation en gardant au centre de mes préoccupations, l’humain.
C’est par le voyage et la photo que j’ai démarré : émerveillée par l’autre, l’individu et le lieu, l’ailleurs, le différent. Depuis 1978, j’ai effectué plusieurs voyages en Asie, dans l’océan indien et Pacifique où j’ai été fascinée par la richesse architecturale, graphique, la nature et surtout par ces cultures complexes et raffinées, ces mœurs ou conditions de vie parfois inacceptables qui n’empêchent pas cette joie du quotidien ; par la place du spirituel, de la famille, de l’impact de l’environnement sur le rite, par les difficultés et facilités. Des espaces contradictoires où mes enseignements ont volé en éclat ! D’autres possibles …
Odeurs, couleurs, matières, gestuelle, peaux et textures m’ont beaucoup influencée.
En 1986, je fus émue et impressionnée par la visite du Puits Couriot de Saint Etienne: les baies colorées usées, les fermetures et ouvertures sur un ciel occulté par le bleu; la salle des pendus, témoin et restée en l’état, furent la clé d’une thématique qui m’est chère : l’enfermement, ou le « à travers ».
Poursuivant mes études aux Beaux-Arts de Lyon et en Maîtrise d’arts plastiques à Paris I, j’ai axé ma pratique sur la forme d’un individu qui chute, motif accumulé et happé par la couleur jusqu’à pratiquement disparaître dans la matière et dans le grand format.
J’ai poursuivi mes recherches avec des linogravures sur papier de soie, laissant le hasard dissoudre le motif dans la couleur. Petits formats, montrés sous verre, ou alors plus grands formats roulés dans des tubes transparents, noyés dans du pigment de couleur bleu, et scellés.
En quête d’ailleurs, j’ai rencontré, à La Réunion, un autre monde culturel : l’impact de la nature fut une grande découverte pour la citadine que je suis ; puis les coutumes se mêlant, le sens de la joie et de la fête ; les difficultés de beaucoup de personnes, leurs croyances ritualisées, et encore un monde de couleurs, généreux plus proche de la terre, du réel. J’ai tenté de traduire plastiquement d’une part l’énergie, la dynamique des formes abstraites, texturées avec du papier de soie, couvrant et dénudant le motif sur la toile ; d’autre part, mes ressentis en évoquant les rapports sociaux et leurs limites par la création d’ installations de sculptures dans des espaces d’expositions.
Etonnée par l’importance du tatouage à La Réunion, où le corps est vécu différemment, exposé, embelli, décoré, j’ai étudié cette volonté de le « marquer », de l’encrer. L’aboutissement fut un livre édité intitulé : « Le corps questionné « .
Plus tard, rentrant à Montpellier, j’ai éprouvé le besoin de travailler à la fois le geste abstrait, ouvert et le corps et l’intime: par l’écriture dans la toile, qui ne s’entend pas, ne s’étale pas dans un espace abstrait libre. Certaines lectures, (d’A. Arthaud à A. Ferney) entre autres, m’ont beaucoup inspiré, comme si les auteurs exprimaient ce que je n’osais \ »crier\ », de peur de ne pas être entendue, comprise, d’être jugée. L’enfouissement des mots souvent écrits à la plume, comme une broderie, dans la couleur et l’espace abstrait, offre une certaine liberté face aux attendus des uns et des autres. L’autre est parfois une difficulté et la différence émotive fragilise. Les lignes de composition évoquent une énergie toujours différente, les associations des toiles de couleurs aux toiles noires nommées Shhh, traduisent cette obligation de non-dits, quand il faut se taire.
Ainsi, ces thématiques devinrent récurrentes dans mes productions : le corps et les écrits, ou encore ce qui les lie; les éclats, moments d’énergie libre et folle où tout s’emmêle.
Dans les toiles abstraites (les éclats), la gestualité et (ou) la matière expriment des émotions, des sentiments, des ressentis. Ces gestes, traces ou empreintes décrivent un espace tantôt opaque, lourd et fermé, (l’espace est composé, la couleur reflète l’absence et le mouvement plus ou moins contraint); tantôt ouvert et libre (le geste trouve une place plus importance laissant libre cours aux superpositions, aux traces, aux silences. La couleur lumineuse y prend forme par opposition, exprimant une énergie extrêmement dynamique). Ces phases abstraites sont des allers-retours récurrents, en écho à mon travail.
Le mouvement créé par les verticalités et obliques se pose parfois sur une ligne de terre comme dans les représentations de corps ; une stabilité, un appui toujours mis en péril.
Vivant ensuite en Nouvelle Calédonie, le monde du Pacifique m’a encore éblouie et plus encore. Paradis sur terre qui a comme toujours des limites, des cadres très serrés : l’ouverture vers la nature et l’enfermement dans les attendus, les modes de fonctionnement opposés de part et d’autre. C’est là que j’ai commencé ma série de fleurs: ici la force du sol, opposé à la verticalité sont une autre occasion de traiter de façon stylisée le motif. L’effet « grille » des coulures clôt l’espace opulent. Dans une volonté de joie et de légèreté, dans l’enfermement des coulures, l’espace n’est pas tout à fait serein, mais en mouvement, éphémère. Ce sont des vanités où mes ressentis figurent. C’est là aussi que j’ai initié les représentations de personnes de dos, je voyais en bord de plage enfin au repos.
Le corps a toujours été au centre de mes préoccupations même s’il n’est pas toujours visible dans les toiles. Rencontres de voyages, expression de soi, relation à l’espace, en mouvement ou figé. Il porte, reçoit, attend, rêve, chute ; il « vit » et évolue dans le monde dont il porte l’empreinte.
Corps anonyme parfois alangui, offert de dos, car c’est là qu’il se relâche et se montre dans toute son identité, là aussi où il ne se voit pas, là où je le devine; le dos étant le seul point de vue indépendant de notre volonté, donc plus significatif et tellement porteur de sens.
J’en arrive aujourd’hui sur un thème qui les rejoint tous car il parle encore de l’humain et de sa place dans le monde: l’abri sédentaire ou nomade. Lieu chéri, symbolique, mémoriel ou lien familial ? Abri rassurant ou mur effrayant ? Les motifs agréables ou les fleurs qui les habitent sont-ils suffisants pour en faire des havres de paix ?
Dans cette sélection, j’étends le terme « maison » à ses composants ou à ses fonctions: murs et fenêtres, fragments d’architectures, abri fragile, contenant fonctionnel, provisoire ou mobile, estancot ou roulotte … Je perçois la maison comme un corps, riche de son ou ses histoires, façade close ou offerte au regard, dont tous les éléments accrochent des référents individuels ou collectifs.
Pour tous ces questionnements, j’utilise plusieurs techniques, qui s’interpellent et se répondent.
Le cadre, la verticale et l’horizontale sont souvent présents, comme pour fixer une limite au débordement. J’ai besoin d’une ligne d’horizon !